Toute ma vie se résume à un regard [Terminé]

 
Je m'étais levée tôt ce matin, comme chaque matin depuis ma naissance.
J'avais soudainement eu la sensation d'étouffer dans ma tanière, seule.
Notre Guérisseuse m'avait rapporté une prophétie me concernant, je la trouvais très étrange.
"La jeunesse et la vivacité remporteront chaque batailles, la loyauté à un Clan est primordiale, mais l'amour peut survenir du jour au lendemain et massacrer tout sur son passage." Je la répétais à haute voix, espérant la comprendre d'avantages.
Qu'est ce que cela pouvait bien signifier? Je n'étais pas amoureuse et je me détournais machinalement de ce genre de chose. Je n'étais pas prête à ça, je devais mener mon Clan et cela occupait suffisamment de place dans ma tête.
Je ne me laisserais pas avoir par un de ses matous qui vous couve sans cesse, j'aime ma liberté et je suis bien ainsi. Je secouais la tête, cela m'agaçait. Je finis ma promenade en me perchant au sommet d'un rocher, au bord de la Rivière. Les Rochers du Soleil nous appartenaient, à nous le Clan du Tonnerre. Ce lieu était source de guerre sans fin...
Je n'étais pas du genre à me prendre la tête, mais ce matin c'était plus fort que moi. Je soupirais longuement et posais ma tête sur mes pattes, écoutant le léger clapotis de l'eau accompagné du chant des oiseaux. Un sifflement attitra mon attention, ce n'était pas celui d'un chat. Je regardais aux alentours, il n'y avait rien de suspect. Me redressant soudainement je me retournais, et découvrais avec horreur, l'origine de ce sifflement.
Une vipère me regardait avec intérêt, peut être imaginait-elle que je lui servirais de repas? Tentant de reculer je trébuchais du rocher, essayant de me rattraper en plantant mes griffes dans la surface lisse, ce geste se résuma à un crissement strident. Tombant en arrière, je plongeais dans l'eau, qui était plutôt fraiche en cette matinée légèrement ensoleillée.
Je ne savais absolument pas nager, loin de paniquer je tentais de sortir la tête de l'eau afin de respirer quelques instants, mais mon poids m'entrainais vers le fond de la Rivière. Je battais follement des pattes, en vain. Je n'arrivais plus à respirer, l'eau pénétrait à l'intérieur de ma gueule et je buvais la tasse.
Si Maman était là, elle me trouverait ridicule.

 
"Pelage de Nuit tu prendras la tête de la patrouille de midi avec Coeur Nuageux." Je jette un coup d'oeil au guerrier au pelage blanc et lui souris. "Bien sûr, Nuage Gris et Nuage d'Ébène pourront venir."

Mon ami hôche la tête d'un air approbateur. C'était l'un des vétérans du clan, je comptais sur lui pour superviser l'entraînement, puisque Pelage de Nuit était une jeune guerrière, elle se doit de se montrer à la hauteur. Je continue d'organiser les patrouilles de la journée, heureux de voir que tout se portait bien dans mon clan.

"Poil de Campagnol, la réserve est un peu vide, tu ne trouves pas ? Emmène Plume de Corbeau et Coeur de Cerf et allez pêcher." Les trois guerriers concernés hôchent la tête, puis partent. "Nuage de Neige et Nuage de Feu, vous êtes prêts pour votre évaluation de pêche. Elle aura lieu demain matin. Allez vous entraîner." Je respire un bon coup. "Fleur de Nuit, va chercher Nuage des Roches. La frontière avec le clan de l'Ombre doit être surveillée. Je vais du côté du clan du Tonnerre, ce n'est pas loin, s'il y a un problème, vous m'entendrez."

Je me dirige lentement vers le tunnel masquant l'entrée du camp. Le clan du Tonnerre m'attirait étrangement depuis quelques jours, mais la fatigue m'avait empêché d'y aller plus tôt. En effet, le clan se portait à merveille, nous étions plus nombreux que jamais. Notre nombre fait notre force, et il nous fallait beaucoup de poissons avec toutes ces bouches à nourrir. J'allais sortir du camp, mais ma fille me barra le chemin.

"Nuage de Brise, qu'y a-t-il ? Tu ne devrais pas être en train d'aider notre guérisseuse ?" J'avais parlé d'une voix douce, mais c'est d'une voix presque appeurée qu'elle me répondit. "Non, n'y va pas ! Cela pourrait mener à la fin de notre clan !"

"Tu dis n'importe quoi, je peux aller où je veux." Répliquai-je, entêté. Elle s'inclina, puis s'esquiva. Je la vis se faufiler dans l'antre de la guérisseuse, appelant à tue-tête son mentor. Je l'ignore et me met en route.

Une fois arrivé près de la rivière, je regarde au-delà de la frontière. Le chant des oiseaux m'emplie les oreilles, le bruit familier de la rivière me fait un bien fou. Je m'approche de l'eau, savourant la chaleur du soleil sur mon pelage si doux. Tandis que je m'assoie, j'entend un gémissement. Soudain, je vois un chat se débattant dans les courants. Visiblement, il ne savait pas nager et allait se noyer. N'écoutant que mon bon coeur, je plonge. L'eau est plutôt froide, pour la saison, mais je suis habitué. Je nage habillement vers la silhouette rousse, esquivant un banc de poissons qui aurait pu nourrir mon clan. Une fois arrivée plus près du chat, je reconnais Étoile d'Écureuil, ballottée par les courants. Je l'attrappe par la peau du cou, puis commence à la tirer vers la rive. Elle ne se débat plus, elle doit avoir perdu connaissance, ou avoir compris que je la sauvais. En tout cas, je sens bientôt les rochers sous mes pattes et, m'appuyant dessus, je réussis à la hisser sur la rive.

Au moment où je sombrais vers le fond de l'eau, je sentis une mâchoire se serrer autour de ma nuque, un chat me tirais de là. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé ensuite, j'avais les yeux clos, et mes pensées s'étaient envolées.
S'il s'agissait d'un membre de mon clan, je serais morte de honte. Être sauvé par un de mes guerriers ne serait pas bon pour ma réputation...
Mais s'il s'agissait d'un ennemi, le félin en question me trouverais bien faible et s'empresserait d'aller le raconter à son chef. Dans tout les cas, je serais humiliée.
Moi qui m'étais tant battu pour prouver que j'étais forte et brave, il allait falloir reprendre tout ça...
Il fallait que je prouve définitivement à mon Clan que je pouvais le guider, que je pouvais être le meilleur chef que les Clans n'aient jamais connu.
Bon comme début c'est plutôt raté... je l'avoue mais je ne vais pas me laisser abattre, ni me laisser avoir par cette fameuse prophétie.
Je me raidie un peu et sentant que mon poids faisait vaciller le félin qui me tenait fermement, je me détendis, me laissant pendre mollement dans sa gueule.
Au bout de quelques instants je sentis des gravillons sous mon corps, le chat me tirais sur la rive. Je sentis ses pattes se poser sur mes poumons, me faisant, au passage, recracher de l'eau.
Lorsque j'ouvris mes jolis yeux vert, un matou était penché sur moi. Je regardais ses yeux jaune-vert, c'est qu'ils étaient plutôt joli en fait...
J'avais le soleil dans les yeux, mais je pouvais clairement voir sa carrure, sa fourrure blanche, trempée, effleurait la mienne. Je ne saurais l'expliquer, mais durant quelques instants je le... contemplais. Sa beauté me frappa tout à coup, ce matou était... beau. J'ouvris de grands yeux lorsque je reconnus ses traits familiers, il s'agissait d'un mâle que je connaissais ! C'était le chef du Clan de la Rivière, Étoile de Rêve !
Je restais ainsi figée, ne pouvant détourner mon regard du sien. J'étais comme paralysée. Son souffle me réchauffait, et je ne sais comment ni pourquoi mais sa présence me rassurait.
Je crois que mon regard s'est à ce moment radoucis, peut être même que j'ai rougis...
Puis de ma voix claire et douce je lui dis alors, un simple mot, empli de tous les battements de mon coeur :
-Merci

 
Une fois Étoile d'Écureuil sortie d'affaires, j'essayai de me souvenir de comment faire pour la sauver, mais j'étais troublé par sa présence. Je ne me souviens pourtant pas qu'elle m'ait déjà fait quelque chose. En fait, je lui ai très rarement parlé. Je pense trop à elle, je n'arrive plus à réfléchir. Dès que son image apparait dans mon esprit, elle occupe toutes mes pensées et je suis incapable de réfléchir.

Tandis que cette affirmation s'impose d'elle-même à moi, je tourne la meneuse sur le dos, sa tête pendant sur un côté, et compresse doucement son corps au niveau de ses poumons, expulsant ainsi toute l'eau qu'elle avait avalée de son corps. Une fois cela fait, je me penche vers elle, au niveau de son museau, et écoute sa respiration. Elle est vivante. Aussitôt que j'en suis certain, je me détend. Je rougis sous ma fourrure en me rendant compte que j'avais eu peur pour une ennemie. Leur chef, en plus. Soudain, alors que je suis au-dessus d'elle, deux pattes de chaque côté de son corps, mon visage si près du sien, elle ouvre les yeux.

Je ne sais pas si les coups de foudres existent vraiment, mais je pense que ce qu'il est en train de se passer en est un. En effet, je n'arrive plus à détacher mes yeux de son regard. Ses yeux si verts me rappellent soudain Glace Éternelle, et je détourne mon regard. Non, une relation avec une chatte qui me rappellera tous les jours mon ancien amour serait impossible. De plus, la prophetie me revient en tête : "La sagesse et la vivacité remporteront chaque batailles, la loyauté à un Clan est primordiale, mais l'amour peut survenir du jour au lendemain et massacrer tout sur son passage." Je me lève de là pour qu'elle puisse se relever, mais elle n'en fait rien. Elle doit être trop faible. Elle réussit tout juste à miauler un remerciement. Le matou amoureux que je suis laisse sa place à la partie de moi qui est un chef qui veut le bonheur de son clan.

"Mais de rien, chère Étoile d'Écureuil, c'est tout à fait normal." Je lui glisse un regard narquois. "Ces rochers ne sont pas faits pour vous, il n'y a que le clan de la Rivière qui ne risque rien ici." Je la fixe intensément, toute fougue oubliée, et je susurre. "Tu ne veux que le bonheur de ton clan, non ?"

A ces mots, je me raidis. La chatte forte qui est en moi reprend le dessus de la femelle troublée.
Je me redresse plus vive que jamais et cloue le matou au sol, son museau à une moustache du mien, si près que je pourrais en loucher.
-Écoute moi bien Étoile de Rêve, nous avons versé notre sang pour ses rochers, j'ai trébuché, tu m'as sauvée, point. Je veux uniquement le bonheur de mon clan, certes. Mais je ne te les rendrais jamais, ils appartiennent à mon clan, il va falloir t'y faire car chaque guerrier m'est entièrement dévoué.
J'avoue que je mentais... en réalité les miens n'avaient pas suffisamment confiance en moi. Je dirais même qu'il fallait encore que je prouve que ma place était en temps que chef de ce Clan.
Toute dureté envolée dans mon regard, j'étais pourtant encore contrariée.
Sa voix résonnait encore au creux de mes oreilles. Je fronçais le museau, mais pourquoi dont ceci était aussi compliqué?!
J'étais perdue, complètement perdue.
Mon coeur battait la chamade, soudain je me rendis compte que j'étais toujours penchée à un souffle de lui, mes yeux scrutant son regard. Ma fourrure me brûlait, j'étais tiraillée entre rester au dessus du matou et retourner au camp.
Mon côté sauvage prit le dessus, d'un mouvement un peu brutal je fonçais vers mon territoire, la queue battante, et la fourrure ébouriffée de colère, de gêne et de doutes.
Je rabattis les oreilles et baissais la tête, pour une fois j'allais me poser et réfléchir.
Je n'osais pas regarder derrière moi, ce matou m'agaçait par son ton si...si rha ! Si énervant !
Mais sa voix... si tendre et douce...
Non ! Il m'énerve c'est tout.
Il hantait encore mes pensées alors que je n'avais fais que quelques pas, l'image de son corps si près du mien, son visage penché au dessus du mien...
Il m'a sauvé la vie.
Je soupirais. Fichu matou !

Lorsqu'Étoile d'Écureuil me sauta dessus, je n'essayai même pas d'esquiver. J'étais mort de rire, mais j'arrivai à peu près à le cacher. Cette femelle était si prévisible ! Il suffisait d'un petit peu de sous-entendus pour la mettre dans une colère noire. Cette dernière, après m'avoir plaqué au sol, miaula d'une voix menaçante :

-Écoute moi bien Étoile de Rêve, nous avons versé notre sang pour ses rochers, j'ai trébuché, tu m'as sauvée, point. Je veux uniquement le bonheur de mon clan, certes. Mais je ne te les rendrais jamais, ils appartiennent à mon clan, il va falloir t'y faire car chaque guerrier m'est entièrement dévoué.

Je ricanai. Elle mentait, sinon elle ne l'aurait pas précisé comme si c'était vital que je sois au courant. Donc comme ça ses guerriers ne la respectaient pas ? Je pensais qu'il n'y avait que moi dans ce cas là. Alors que la chef ennemie se relevait vivement, je lui susurrai à l'oreille :

"La prochaine fois que tu tomberas, je ne serais pas loin et je te rattraperai. Viens ici dans deux jours, lorsque la lune sera assez grande pour nous éclairer. Je t'apprendrais à nager, si tu veux."

Je savais qu'elle avait compris le sous-entendu. Je l'attendrai régulièrement ici, à elle de voir si elle voulait me revoir. Elle partit comme une flèche, et je fus tenté de la rattraper, mais je devais rentrer. Cette femelle me faisait penser différemment. Pire, elle me faisait devenir différent. Mais j'aimais ça. Je rougis en pensant à sa gêne lorsqu'elle était penchée sur moi. Toutes les pensées sur Glace Éternelle s'étaient envolée. Je ne l'avais pas oubliée, au contraire, mais je me devais d'être fort et, même si c'était avec une chef ennemie, je me devais, pour elle, de refaire ma vie.